Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/195

Cette page n’a pas encore été corrigée

ociété.

Comme quatre ans auparavant, lors de ma première rencontre avec lui, en ce moment encore son aspect me frappa. Certes, je ne l’avais pas oublié, mais il y a, je crois, des physionomies qui, à chaque apparition nouvelle, offrent toujours, si l’on peut ainsi parler, quelque chose d’inédit, quelque chose que vous n’avez pas encore remarqué en elles, les eussiez-vous déjà vues cent fois. En apparence, Nicolas Vsévolodovitch n’avait pas changé depuis quatre ans : son extérieur était aussi distingué, sa démarche aussi imposante qu’à cette époque ; il semblait même être resté presque aussi jeune. Je retrouvai dans son léger sourire la même affabilité de commande, dans son regard la même expression sévère, pensive et distraite qu’au temps où il m’était apparu pour la première fois. Mais un détail me surprit. Jadis, quoiqu’on le considérât déjà comme un bel homme, son visage en effet « avait l’air d’un masque », ainsi que le faisaient observer certaines mauvaises langues féminines. À présent, autant que j’en pouvais juger, on ne pouvait plus dire cela, et Nicolas Vsévolodovitch avait acquis, à mon sens, une beauté qui défiait tout critique. Était-ce parce qu’il était un peu plus pâle qu’autrefois et semblait légèrement maigri ? Ou parce qu’une pensée nouvelle mettait maintenant une flamme dans ses yeux ?

Barbara Pétrovna n’alla pas au-devant de lui, elle se redressa sur son fauteuil, et, arrêtant son fils d’un geste impérieux, lui cria :

— Nicolas Vsévolodovitch, attends une minute !

Pour expliquer la terrible question qui suivit tout à coup ce geste et cette parole, — question dont l’audace me stupéfia même chez une femme comme Barbara Pétrovna, je prie le lecteur de se rappeler que, dans certains cas extraordinaires, cette dame, nonobstant sa force d’âme, son jugement et son tact pratique, s’abandonnait sans réserve à toute l’impétuosité de son caractère. Peut-être le moment était-il pour elle un de ceux où se concentre brusquement comme en un foyer le fond de toute sa vie, — passée, présente et