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que rien ne pût le troubler. Dans quelques circonstances, dans quelque société qu’il se trouvât, il conservait une assurance imperturbable. À son insu, il possédait une dose énorme de présomption.

Extraordinairement disert, il parlait avec une volubilité qui ne nuisait, d’ailleurs, ni à la netteté, ni à la distinction de son débit. Sa parole abondante était en même temps d’une clarté, d’une précision et d’une justesse remarquables. D’abord on l’écoutait avec plaisir, mais ensuite cette élocution facile et toujours prête éveillait des idées désagréables dans l’esprit de l’auditeur : on se demandait quelle conformation étrange devait avoir la langue d’un monsieur si loquace.

Dès son entrée dans le salon, ce jeune homme donna cours à sa faconde, je crois même qu’il entra en continuant un _speech_ commencé dans la pièce voisine. En un clin d’œil il fut devant Barbara Pétrovna et se mit à dégoiser :

— Figurez-vous, Barbara Pétrovna, j’entre croyant le trouver ici depuis un quart-d’heure déjà ; il y a une heure et demie qu’il est arrivé, nous avons été ensemble chez Kiriloff ; voilà une demi- heure qu’il l’a quitté pour venir directement ici où il m’avait donné rendez-vous dans un quart d’heure…

— Mais qui ? demanda Barbara Pétrovna, — qui vous a donné rendez- vous ici ?

— Eh bien, Nicolas Vsévolodovitch ! se peut-il que vous ignoriez encore son arrivée ? Son bagage, du moins, doit être ici depuis longtemps, comment donc ne vous a-t-on rien dit ? Alors, je suis le premier à vous donner cette nouvelle. On pourrait l’envoyer chercher, mais, du reste, il va venir lui-même tout à l’heure, il viendra à coup sûr, et, autant que j’en puis juger, le moment sera des mieux choisis, ajouta le visiteur, tandis que ses yeux parcouraient la chambre et s’arrêtaient avec une attention particulière sur le capitaine.

— Ah ! Élisabeth Nikolaïevna, que je suis aise de vous rencontrer dès mon premier pas ! Enchanté de vous serrer la main ! Et il s’élança vers Lisa pour saisir la main que la jeune