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on ne connaît pas le monde, on peut, avec les intentions les plus pures, commettre un acte inconsidéré, et c’est ce que tu as fait en acceptant d’entrer en rapports avec ce coquin. Les bruits répandus par ce drôle prouvent que tu as manqué de tact. Mais je prendrai des renseignements sur lui, et, comme c’est à moi qu’il appartient de te défendre, je saurai le faire. Maintenant il faut en finir avec tout cela.

— Quand il viendra chez vous, le mieux sera de l’envoyer à l’antichambre, observa tout à coup Marie Timoféievna en se penchant en dehors de son fauteuil. — Là il jouera aux cartes sur le coffre avec les laquais, tandis qu’ici nous boirons du café. Vous pourrez tout de même lui en faire porter une petite tasse, mais je le méprise profondément, acheva-t-elle avec un geste expressif.

— Il faut en finir, répéta Barbara Pétrovna qui avait écouté attentivement mademoiselle Lébiadkine, sonnez, je vous prie, Stépan Trophimovitch.

Celui-ci obéit et brusquement s’avança tout agité vers la maîtresse de la maison.

— Si… si je… bégaya-t-il en rougissant, — si j’ai aussi entendu raconter la nouvelle ou, pour mieux dire, la calomnie la plus odieuse, c’est avec la plus grande indignation… enfin cet homme est un misérable et quelque chose comme un forçat évadé…

Il ne put achever ; Barbara Pétrovna l’examina des pieds à la tête en clignant les yeux. Entra le correct valet de chambre Alexis Égorovitch.

— La voiture, ordonna la générale Stavroguine, — et toi, Alexis Égorovitch, prépare-toi à ramener mademoiselle Lébiadkine chez elle, elle t’indiquera elle-même où elle demeure.

— M. Lébiadkine l’attend lui-même en bas depuis un certain temps, et il a vivement insisté pour être annoncé.

— Cela ne se peut pas, Barbara Pétrovna, fit aussitôt d’un air inquiet Maurice Nikolaïévitch, qui jusqu’alors avait observé un silence absolu : — permettez-moi