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— Quelle vérité s’est fait jour cette semaine ? Écoute, Prascovie Ivanovna, ne m’irrite pas, explique-toi à l’instant, je t’adjure de parler : quelle vérité s’est fait jour, et que veux-tu dire par ces mots ?

Prascovie Ivanovna se trouvait dans un état d’esprit où l’homme, tout au désir de frapper un grand coup, ne s’inquiète plus des conséquences.

— Mais la voilà, toute la vérité ! elle est assise là ! répondit- elle en montrant du doigt Marie Timoféievna. Celle-ci, qui n’avait cessé de considérer Prascovie Ivanovna avec une curiosité enjouée, se mit à rire en se voyant ainsi désignée par la visiteuse irritée, et s’agita gaiement sur son fauteuil.

— Seigneur Jésus-Christ, ils sont tous fous ! s’écria Barbara Pétrovna, qui blêmit et se renversa sur le dossier de son siège.

Sa pâleur nous alarma. Stépan Trophimovitch s’élança le premier vers elle ; je m’approchai aussi ; Lisa elle-même se leva, sans, du reste, s’éloigner de son fauteuil ; mais nul ne manifesta autant d’inquiétude que Prascovie Ivanovna ; elle se leva du mieux qu’elle put et se mit à crier d’une voix dolente :

— Matouchka, Barbara Pétrovna, pardonnez-moi ma sottise et ma méchanceté ! Mais que quelqu’un lui donne au moins de l’eau !

— Ne pleurniche pas, je te prie, Prascovie Ivanovna ; et vous, messieurs, écartez-vous, s’il vous plaît, je n’ai pas besoin d’eau ! dit avec fermeté Barbara Pétrovna, quoique la parole eût encore peine à sortir de ses lèvres décolorées.

— Matouchka ! reprit Prascovie Ivanovna un peu tranquillisée, — ma chère Barbara Pétrovna, sans doute j’ai eu tort de vous tenir un langage inconsidéré, mais toutes ces lettres anonymes dont me bombardent de petites gens m’avaient poussée à bout ; si encore ils vous les adressaient, puisque c’est à propos de vous qu’ils les écrivent ! moi, matouchka, j’ai une fille !

Les yeux tout grands ouverts, Barbara Pétrovna la regardait