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Prascovie Ivanovna se mit à agiter les bras.

— J’en étais sûre ! La pension vous sert toujours d’entrée en matière quand vous vous préparez à me dire des choses désagréables, c’est votre truc.

— Décidément, tu es mal disposée aujourd’hui ; comment vont tes jambes ? On va t’apporter du café, bois-en une tasse, je t’en prie, et ne te fâche pas.

— Matouchka, Barbara Pétrovna, vous me traitez tout à fait comme une petite fille. Je ne veux pas de café, voilà !

Et, quand le domestique s’approcha d’elle pour la servir, elle le repoussa d’un geste brutal. (Du reste, sauf Maurice Nikolaïévitch et moi, tout le monde refusa de prendre du café. Stépan Trophimovitch, qui en avait d’abord accepté, laissa sa tasse sur la table ; Marie Timoféievna aurait bien voulu en avoir encore, déjà même elle tendait la main, mais le sentiment des convenances lui revint, et elle refusa, visiblement satisfaite de cette victoire sur elle-même.)

Un sourire venimeux plissa les lèvres de Barbara Pétrovna.

— Sais-tu une chose, ma chère Prascovie Ivanovna ? Tu es sûrement venue ici avec une idée que tu t’es encore mise dans la tête. Toute ta vie tu n’as vécu que par l’imagination. Tout à l’heure, quand j’ai parlé de la pension, tu t’es fâchée, mais te rappelles- tu le jour où tu es venue raconter à toute la classe que le hussard Chablykine t’avait demandée en mariage ? Madame Lefébure t’a alors convaincue de mensonge, et pourtant tu ne mentais pas, tu t’étais simplement fourré dans l’esprit une chimère qui te faisait plaisir. Eh bien, parle, qu’est-ce que tu as maintenant ? Qu’as-tu encore imaginé pour être si mécontente ?

— Et vous, à la pension, vous vous êtes amourachée du pope qui enseignait la loi divine, vous devez vous souvenir de cela aussi, puisque vous avez si bonne mémoire ! ha, ha, ha !

Elle eut un rire sardonique auquel succéda un accès de toux.

— Ah ! tu n’as pas oublié le pope… reprit Barbara Pétrovna en lançant à son interlocutrice un regard haineux.