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— Tu vois bien ; à chacun ses affaires, observa Chatoff d’un ton plus bas encore.

— Pourtant, si tu me le demandais, peut-être que je parlerais, oui, peut-être ! répéta-t-elle avec exaltation. — Pourquoi ne m’interroges-tu pas ? Questionne-moi, questionne-moi gentiment, Chatouchka, peut-être que je te répondrai ; supplie-moi, Chatouchka, afin que je consente… Chatouchka, Chatouchka !

Peine perdue, Chatouchka resta muet. Pendant une minute le silence régna dans la chambre. Des larmes coulaient sur les joues fardées de Marie Timoféievna ; elle avait oublié ses mains sur les épaules de Chatoff, mais elle ne le regardait plus.

Il se leva brusquement.

— Eh ! qu’ai-je besoin de savoir tes affaires ? Levez-vous donc ! ajouta-t-il en s’adressant à moi, puis il tira violemment l’escabeau sur lequel j’étais assis et alla le reporter à son ancienne place.

— Quand il reviendra, il ne faut pas qu’il se doute de notre visite ; maintenant il est temps de partir.

— Ah ! tu parles encore de mon laquais ! fit avec un rire subit mademoiselle Lébiadkine, — tu as peur ! Eh bien, adieu, bons visiteurs ; mais écoute une minute ce que je vais te dire. Tantôt ce Nilitch est arrivé ici avec Philippoff, le propriétaire, qui a une barbe rousse ; mon laquais était en train de me maltraiter. Le propriétaire l’a saisi par les cheveux et l’a traîné ainsi à travers la chambre. Le pauvre homme criait : « Ce n’est pas ma faute, je souffre pour la faute d’un autre ! » Tu ne saurais croire combien nous avons tous ri !…

— Eh ! Timoféievna, ce n’est pas un homme à barbe rousse, c’est moi qui tantôt ai pris ton frère par les cheveux pour l’empêcher de te battre ; quant au propriétaire, il est venu faire une scène chez vous avant-hier, tu as confondu.

— Attends un peu, en effet, j’ai confondu, c’est peut-être bien toi. Allons, à quoi bon discuter sur des vétilles ? que ce