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manda d’une voix saccadée qui jurait singulièrement avec le ton de la conversation précédente :

— Vous êtes sans doute venu pour quelque chose ; qu’est-ce qu’il vous faut ?

Je racontai tout de point en point, j’ajoutai que, tout en comprenant maintenant combien je m’étais imprudemment avancé, je n’en éprouvais que plus d’embarras : je sentais que l’entrevue souhaitée par Élisabeth Nikolaïevna était fort importante pour elle, j’avais le plus vif désir de lui venir en aide, malheureusement je ne savais comment faire pour tenir ma promesse. Ensuite j’affirmai solennellement à Chatoff qu’Élisabeth Nikolaïevna n’avait jamais songé à le tromper, qu’il y avait eu là un malentendu, et que son brusque départ avait causé un grand chagrin à la jeune fille.

Il m’écouta très attentivement jusqu’au bout.

— Peut-être qu’en effet, selon mon habitude, j’ai fait une bêtise tantôt… Eh bien, si elle n’a pas compris pourquoi je suis parti ainsi, tant mieux pour elle.

Il se leva, alla ouvrir la porte, et se mit aux écoutes sur le carré.

— Vous désirez vous-même voir cette personne ?

— Il le faut, mais comment faire ? répondis-je.

— Il n’y a qu’à aller la trouver pendant qu’elle est seule. Lorsqu’il reviendra, il la battra s’il apprend que nous sommes venus. Je vais souvent la voir en cachette. Tantôt j’ai dû employer la force pour l’empêcher de la battre.

— Bah ! Vraiment ?

— Oui, pendant qu’il la rossait, je l’ai empoigné par les cheveux ; alors, il a voulu me battre à mon tour, mais je lui ai fait peur, et cela a fini ainsi. Quand il reviendra ivre, je crains qu’il ne se venge sur elle, s’il se rappelle la scène que nous avons eue ensemble.

Nous descendîmes au rez-de-chaussée.