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fixant sur moi un regard ardent, impérieux, n’admettant pas l’ombre d’une réplique ; — je dois _la _voir de mes propres yeux, et je sollicite votre aide.

Elle était dans un état d’exaltation qui rend capable de tous les coups de tête.

— Qui désirez-vous voir, Élisabeth Nikolaïevna ? demandai-je effrayé.

— Cette demoiselle Lébiadkine, cette boiteuse… C’est vrai qu’elle est boiteuse ?

Je restai stupéfait.

— Je ne l’ai jamais vue, mais j’ai entendu dire qu’elle l’est, on me l’a encore dit hier, balbutiai-je rapidement et à voix basse.

— Il faut absolument que je la voie. Pourriez-vous me ménager une entrevue avec elle aujourd’hui même ?

Elle m’inspirait une profonde pitié.

— C’est impossible, et même je ne vois pas du tout comment je pourrais m’y prendre, répondis-je, — je passerai chez Chatoff…

— Si vous n’arrangez pas cela pour demain, j’irai moi-même chez elle, je m’y rendrai seule parce que Maurice Nikolaïévitch a refusé de m’accompagner. Je n’espère qu’en vous, je ne puis plus compter sur aucun autre ; j’ai parlé bêtement à Chatoff… Je suis sûre que vous êtes un très honnête homme, peut-être m’êtes-vous dévoué, tâchez d’arranger cela.

J’éprouvais le plus vif désir de lui venir en aide par tous les moyens en mon pouvoir.

— Voici ce que je ferai, dis-je après un instant de réflexion, — je vais aller là-bas, et aujourd’hui _pour sûr_, je la verrai ! Je ferai en sorte de la voir, je vous en donne ma parole d’honneur ; seulement permettez-moi de mettre Chatoff dans la confidence de votre dessein.

— Dites-lui que j’ai ce désir et que je ne puis plus attendre, mais que je ne l’ai pas trompé tout à l’heure. S’il est parti, c’est peut-être parce qu’il est très honnête et qu’il