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lettre du capitaine Lébiadkine, toute stupide qu’elle était, ne laissait pas de contenir une allusion trop claire à certaine dénonciation possible, appuyée sur des « documents » ; personne pourtant n’avait relevé ce passage, on avait parlé de toute autre chose. Enfin cette imprimerie et le brusque départ de Chatoff dès les premiers mots prononcés à ce sujet ? Toutes ces circonstances m’amenèrent à penser qu’avant mon arrivée il s’était passé là quelque chose dont on ne m’avait pas donné connaissance ; que, par conséquent, j’étais de trop et que toutes ces affaires ne me regardaient pas. D’ailleurs, il était temps de partir, pour une première visite j’étais resté assez longtemps. Je me mis donc en devoir de prendre congé.

Elisabeth Nikolaïevna semblait avoir oublié ma présence dans la chambre. Toujours debout à la même place, près de la table, elle réfléchissait profondément, et, la tête baissée, tenait ses yeux fixés sur un point du tapis.

— Ah ! vous vous en allez aussi, au revoir, fit-elle avec son affabilité accoutumée. — Remettez mes salutations à Stépan Trophimovitch, et engagez-le à venir me voir bientôt. Maurice Nikolaïévitch, Antoine Lavrentiévitch s’en va. Excusez maman, elle ne peut pas venir vous dire adieu…

Je sortis, et j’étais déjà en bas de l’escalier, quand un domestique me rejoignit sur le perron.

— Madame vous prie instamment de remonter…

— Madame, ou Élisabeth Nikolaïevna ?

— Élisabeth Nikolaïevna.

Je trouvai Lisa non plus dans la grande salle où nous étions tout à l’heure, mais dans une pièce voisine. La porte donnant accès à cette salle, où il n’y avait plus maintenant que Maurice Nikolaïévitch, était fermée hermétiquement.

Lisa me sourit, mais elle était pâle. Debout au milieu de la chambre, elle semblait hésitante, travaillée par une lutte intérieure ; tout à coup elle me prit par le bras, et, sans proférer un mot, m’emmena vivement près de la fenêtre.

— Je veux _la _voir sans délai, murmura-t-elle en