Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/135

Cette page n’a pas encore été corrigée

la raison. Vous considérant comme mon collaborateur, dit-elle ensuite à Chatoff. — et sachant que vous demeurez dans la même maison que cet homme, je désirerais vous questionner à son sujet, pour être édifiée sur ce que je puis attendre de lui.

— C’est un ivrogne et un vaurien, fit en rechignant Chatoff.

— Est-ce qu’il est toujours aussi bête ?

— Non, quand il n’a pas bu, il n’est pas absolument bête.

— J’ai connu un général qui faisait des vers tout pareils à ceux- là, observai-je en riant.

— Cette lettre même prouve qu’il n’est pas un niais, déclara soudain Maurice Nikolaïévitch qui jusqu’alors était resté silencieux.

— Il a, dit-on, une sœur avec qui il habite ? demanda Lisa.

— Oui, il habite avec sa soeur.

— On dit qu’il la tyrannise, c’est vrai ?

Chatoff jeta de nouveau sur la jeune fille un regard sondeur, quoique rapide.

— Est-ce que je m’occupe de cela ? grommela-t-il en fronçant le sourcil, et il se dirigea vers la porte.

— Ah ! attendez un peu ! cria Lisa inquiète, — où allez-vous donc ? Nous avons encore tant de points à examiner ensemble…

— De quoi parlerions-nous ? Demain, je vous ferai savoir…

— Mais de la chose principale, de l’impression ! Croyez bien que je ne plaisante pas, et que je veux sérieusement entreprendre cette affaire, assura Lisa dont l’inquiétude ne faisait que s’accroître. — Si nous nous décidons à publier l’ouvrage, où l’imprimerons-nous ? C’est la question la plus importante, car nous n’irons pas à Moscou pour cela, et il est impossible de confier un tel travail à l’imprimerie d’ici. Depuis longtemps j’ai résolu de fonder un établissement typographique qui sera à votre nom, si vous y consentez. À cette condition, maman, je le sais, me laissera carte blanche…

— Pourquoi donc me supposez-vous capable d’être imprimeur ? répliqua Chatoff d’un ton maussade.