Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/120

Cette page n’a pas encore été corrigée

Nikolaïévitch est un brave homme tout de même, mais est-ce qu’elle travaillerait pour lui, après qu’elle-même a écrit la première de Paris à cette pauvre amie ?… Enfin cette Prascovie est un type, elle me rappelle Korobotchka, l’inoubliable création de Gogol ; seulement c’est une Korobotchka en grand, en beaucoup plus grand…

— Allons donc, est-ce possible ?

— Si vous voulez, je dirai : en plus petit, cela m’est égal, mais ne m’interrompez pas, vous achèveriez de me dérouter. Elles sont maintenant à couteaux tirés ; je ne parle pas de Lise qui est toujours fort bien avec « tante », comme elle dit. Lise est une rusée, et il y a encore quelque chose là. Des secrets. Mais avec la vieille la rupture est complète. Cette pauvre « tante », il est vrai, tyrannise tout le monde… et puis la gouvernante, l’irrévérence de la société, l’ « irrévérence » de Karmazinoff, l’idée que son fils est peut-être fou, ce Lipoutine, ce que je ne comprends pas, — bref, elle a dû, dit-on, s’appliquer sur la tête une compresse imbibée de vinaigre. Et c’est alors que nous venons l’assassiner de nos plaintes et de nos lettres… Oh ! combien je l’ai fait souffrir, et dans quel moment ! Je suis un ingrat ! Imaginez-vous qu’en rentrant j’ai trouvé une lettre d’elle, lisez, lisez ! Oh ! quelle a été mon ingratitude !

Il me tendit la lettre qu’il venait de recevoir de Barbara Pétrovna. La générale, regrettant sans doute son : « Restez chez vous » du matin, avait cette fois écrit un billet poli, mais néanmoins ferme et laconique. Elle priait Stépan Trophimovitch de venir chez elle après-demain dimanche à midi précis, et lui conseillait d’amener avec lui quelqu’un de ses amis (mon nom était mis entre parenthèses). De son côté elle promettait d’inviter Chatoff, comme frère de Daria Pavlovna. « Vous pourrez recevoir d’elle une réponse définitive : cela vous suffira-t-il ? Est-ce cette formalité que vous aviez tant à cœur ? »

— Remarquez l’agacement qui perce dans la phrase finale. Pauvre, pauvre amie de toute ma vie ! J’avoue que cette