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« À une étoile-amazone. »

— Mais, voyons, c’est un hymne ! C’est un hymne, si tu n’es pas un âne ! Ils ne comprennent rien ! Attends ! fit-il en se cramponnant à mon paletot malgré mes efforts pour me dégager, — dis-lui que je suis un chevalier d’honneur, mais que Dachka… Dachka, avec mes deux doigts je la… c’est une serve, et elle n’osera pas…

Grâce à une violente secousse qui le jeta par terre, je réussis à m’arracher de ses mains et je m’élançai dans la rue. Lipoutine s’accrocha à moi.

— Alexis Nilitch le relèvera. Savez-vous ce que le capitaine Lébiadkine vient de m’apprendre ? me dit-il précipitamment, — vous avez entendu ses vers ? Eh bien, cette même poésie dédiée à une « étoile-amazone », il l’a signée, mise sous enveloppe, et demain il l’enverra à Élisabeth Nikolaïevna. Quel homme !

— Je parierais qu’il a fait cela à votre instigation.

— Vous perdriez ! répondit en riant Lipoutine, — il est amoureux comme un matou. Et figurez-vous que cette passion a commencé par la haine. D’abord il détestait Élisabeth Nikolaïevna parce qu’elle s’adonne à l’équitation ; il la haïssait au point de l’invectiver à haute voix dans la rue ; avant-hier encore, au moment où elle passait à cheval, il lui a lancé une bordée d’injures ; — par bonheur, elle ne les a pas entendues, et tout à coup aujourd’hui des vers ! Savez-vous qu’il veut risquer une demande en mariage ? Sérieusement, sérieusement !

— Je vous admire, Lipoutine : partout où se manigance quelque vilenie de ce genre, on est sûr de retrouver votre main ! dis-je avec colère.

— Vous allez un peu loin, monsieur G…ff ; n’est-ce pas la peur d’un rival qui agite votre petit cœur ?

— Quoi ? criai-je en m’arrêtant.

— Pour vous punir, je ne dirai rien de plus ! Vous voudriez bien en apprendre davantage, n’est-ce pas ? Allons, sachez encore une chose : cet imbécile n’est plus maintenant un sim-