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matin, chez le marchand Samsonnov pour lui emprunter trois mille roubles, sur gages certains. J’avais un très-pressant besoin de cette somme.

— Permettez… dit avec politesse le procureur. Pourquoi aviez-vous un si pressant besoin de cette somme ?

— Eh ! messieurs, que de détails ! Où ? comment ? pourquoi ? Billevesées !… Il y aura bientôt de quoi remplir trois volumes avec un épilogue, si nous allons de ce train !

Mitia parlait du ton de bonhomie d’un homme déterminé à dire la vérité.

— Messieurs, se reprit-il, ne m’en veuillez pas pour cette brusquerie, croyez que je vous rends tous les respects qui vous sont dus. Je ne suis pas ivre. Je sais que je suis à vos yeux un criminel, il n’y a pas d’égalité entre nous ; votre devoir est de m’étudier, mais convenez que vous embarrasseriez Dieu lui-même avec ces questions : Qu’as-tu fait ? qu’as-tu dit ? où es-tu allé ? comment ? quand ? Je puis dire… je ne sais quoi, vous en prendrez note, et qu’est-ce que cela prouvera ? Rien. Je vous prie donc de ne pas vous en tenir trop étroitement à la procédure classique qui déduit d’un petit fait comme : Qu’a-t-il mangé ? Quand a-t-il craché ? une grosse conclusion, et à l’accusé étourdi de détails pose tout à coup la question terrible : As-tu tué ? Ah ! ah ! voilà toute votre ruse ! Employez ce procédé avec des moujiks : avec moi, non ! J’ai servi, je connais les choses… Ah ! ah ! ah ! Ne vous fâchez pas contre Mitia Karamazov : on peut lui pardonner un peu d’insolence, c’est dans son caractère… Ah ! ah ! ah !

Le juge riait. Le procureur restait grave et suivait