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ma vie pour une seule année de toi… pourvu que je sache… sur ce sang !

— Quel sang ?

— Rien, fit Mitia en grinçant des dents. Grouschka, tu veux que ce soit honnêtement ? Mais sais-tu que je suis un voleur ! J’ai volé Katka… Ô honte ! ô honte !

— Katka ? cette barichnia ? Non, tu ne lui as rien volé, tu lui rendras, tu prendras de l’argent chez moi… Qu’as-tu ? Tout ce qui est à moi est à toi ! Que me fait l’argent ! Nous le dépenserons sans compter… C’est notre caractère, n’est-ce pas, prodigue ? Et puis, nous irons ensuite labourer la terre. Oui, je fouillerai la terre avec ces mains-là. Il faudra travailler, entends-tu ? Alioscha me l’a ordonné. Je ne serai pas ta maîtresse, mais ta femme, ton esclave, je travaillerai pour toi. Nous irons tous deux chez la barichnia, nous la saluerons, nous la prierons de nous pardonner et nous partirons… Si elle refuse de nous pardonner, d’ailleurs, nous nous passerons de son pardon ! Rends-lui son argent, à elle : à moi, donne-moi ton amour… Ah ! ne va pas l’aimer ! Ne l’aime plus ! Si tu l’aimais, je l’étranglerais… Je lui crèverais les yeux avec une aiguille…

— Je t’aime ! Je n’aime que toi ! Je t’aimerais en Sibérie…

— Pourquoi en Sibérie ? Soit, en Sibérie si tu veux, nous y travaillerons… Il y a de la neige… J’aime voyager à travers la neige… J’aime les tintements de la sonnette… Entends-tu ? en voici une qui tinte ! Où est-elle donc ?… Des voyageurs qui passent sur la route. Elle s’est tue…

Grouschegnka ferma les yeux et parut s’endormir.

Une sonnette, en effet, avait tinté dans l’éloignement.