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Dieu !… Mitia, qu’on danse ! ne les empêche pas de danser. Tout le monde est bon, vois-tu, tout le monde ! On est si bien dans la vie ! Si méchant qu’on soit, il fait si bon vivre !…

Ainsi divaguait Grouschegnka, sous l’influence d’une ivresse croissante. Elle finit par déclarer qu’elle voulait danser elle-même. Elle se leva, mais elle se soutenait à peine.

— Mitia, ne me donne plus de vin : même si je t’en demande, ne m’en donne plus. Le vin me fait mal, tout tourne… Mais je veux danser ! On va voir si je sais danser !

C’était un projet très-arrêté chez elle. Elle tira de sa poche un mouchoir en fine batiste, le prit par un bout et se mit à l’agiter en pirouettant. Les moujiks se turent, se préparant à entonner en chœur, au premier signe, la pliassovaïa[1]. Maximov, apprenant que Grouschegnka voulait danser, poussa un cri de joie et se mit à sauter autour d’elle en chantant. Mais Grouschegnka l’écarta.

— Chut ! Mitia, que tout le monde vienne me regarder ! Appelle aussi ceux qui sont enfermés… Pourquoi les as-tu enfermés ? Dis-leur que je danse, qu’ils viennent me voir !…

Mitia frappa de toutes ses forces à la porte des Polonais.

— Eh ! vous autres, les panove ! Sortez ! Elle danse et vous appelle.

Laïdak[2] ! grogna l’un des deux Polonais.

Podlaïdak toi-même ! Petit podletchonotchek !

  1. Danse nationale.
  2. En polonais : laïdak, misérable ; podlaïdak, mot créé par Dmitri, quelque chose comme : sous-misérable ; podletchonotchek, autre invention de Dmitri, en russe : ignoble petit Polonais ; podle, ignoble ; poliatchek, Polonais.