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laquelle il m’a abandonnée… Mitia, quelle honte ! Oh ! que j’ai honte, Mitia, que j’ai honte ! honte pour toute la vie ! Maudits soient ces cinq ans !

Elle fondit de nouveau en larmes, tout en pressant dans les siennes la main de Mitia.

— Mitia, mon ami, attends, ne t’en va pas, je veux te dire un mot, murmura-t-elle en le regardant. Dis-moi : qui est-ce que j’aime ? J’aime ici un certain homme, dis-moi lequel.

Et sur son visage gonflé de larmes brilla un sourire.

— Il entre, mon cœur se serre. « Sotte ! voilà celui que tu aimes ! » me dit mon cœur. Ô Mitia, et la joie te suivait. « Mais de quoi a-t-il peur ? » pensais-je. Car tu avais peur, tu ne pouvais pas parler. Ce n’est pas d’eux que tu avais peur ! Est-ce que tu peux avoir peur d’un homme ? « C’est de moi qu’il a peur, de moi seule. » Mais Fénia ne t’a donc pas dit, sot, que je t’avais aimé pendant toute une heure ? Dire que je voulais en aimer un autre ! Mitia ! Mitia ! comment ai-je pu penser que j’en aimerais un autre après toi ? Me pardonnes-tu, Mitia ? M’aimes-tu ? m’aimes-tu ?

Elle se leva, lui mit ses deux mains sur les épaules. Lui, muet de bonheur, la regardait au fond des yeux, la contemplait. Tout à coup, il la prit dans ses bras.

— Me pardonnes-tu toutes tes souffrances ? C’est par méchanceté que je vous torturais tous ! C’est par méchanceté que j’ai rendu fou le vieux !… Te rappelles-tu, quand tu as cassé un verre chez moi ? J’ai fait de même aujourd’hui en buvant à « mon vil cœur » ! Mitia, mon cher, pourquoi m’embrasses-tu ?… Il m’embrasse, puis il me regarde et m’écoute… Pourquoi m’écouter ? Embrasse-moi !