— Oui, j’eus ce désagrément : elle s’est enfuie avec un Moussiè[1]. Elle avait au préalable fait faire à son bénéfice un transfert de mes biens. « Tu n’en auras pas besoin, me disait-elle : tu as de l’instruction, tu trouveras toujours de quoi vivre… » Puis elle me planta là. Un très-honorable archevêque me dit un jour, à ce propos : « De tes deux femmes, si l’une boitait, l’autre ne marchait que trop bien ! » Hi ! hi ! hi !
— Il ment peut-être, dit Kalganov gaiement, mais c’est pour égayer les autres. Il n’y a pas là de malhonnêteté. Moi, je l’aime parfois. Il est cynique, mais très nature, n’est-ce pas ? Un autre s’avilit par calcul ; lui, c’est pour suivre sa pente. Imaginez-vous ! Il prétend que c’est lui, Maximov, que Gogol a voulu dépeindre dans ses Âmes mortes. Vous vous rappelez : il y a dans les Âmes mortes un pomiestchik Maximov que Nozdrev fouette, action pour laquelle ledit Nozdrev passe en jugement. « Pour avoir fait une offense personnelle au pomiestchik Maximov avec des verges en état d’ivresse[2]. » Il prétend que c’est lui qu’on a fouetté. Pourtant c’est impossible. Tchitchikov[3] vivait aux environs de 1820, au plus tard ; les années ne concordant pas, on n’a donc pas pu fouetter notre Maximov à cette époque, n’est-ce pas ?
Il était difficile de comprendre pourquoi Kalganov s’échauffait si vivement au sujet de tels enfantillages. Mitia sympathisait avec lui.