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champagne, je n’aime pas les liqueurs. Ce qui est mieux encore, c’est d’être venu toi-même, je m’ennuyais terriblement… Tu es venu faire la noce ? Cache donc ton argent dans ta poche. Et où as-tu pris tout cela ?

Mitia, qui tenait toujours les billets froissés dans ses mains, ce dont les deux panes semblaient fort intrigués, fourra précipitamment la liasse dans sa poche et rougit. En ce moment, le patron parut, portant une bouteille de champagne débouchée et des verres sur un plateau. Mitia saisit la bouteille, mais il ne sut qu’en faire. Kalganov la lui prit des mains et emplit les verres.

— Encore une bouteille ! cria Mitia au patron.

Et oubliant de trinquer avec le pane qu’il venait si solennellement d’inviter à boire, il vida d’un trait son verre. Son visage se transforma aussitôt. Au lieu de l’expression tragique et solennelle qu’il avait eue jusqu’alors, c’était maintenant une physionomie enfantine. Il regardait ses voisins avec une sorte de joie timide, avec de petits rires nerveux, avec l’air soumis et reconnaissant d’un petit chien coupable qu’on a laissé entrer et qu’on veut bien caresser. Il approcha sa chaise de Grouschegnka et la regarda en souriant. Puis il examina aussi les deux panes. Le pane assis sur le divan lui parut trop Polonais, et surtout sa pipe l’étonna. « Mais qu’est-ce que j’ai ? C’est très-bien de fumer la pipe ! » pensa-t-il. La taille obèse, le petit nez souligné de petites moustaches cirées, l’air insolent de cet homme qui pouvait avoir une quarantaine d’années, parurent très-bien à Mitia, jusqu’à la sotte perruque que le personnage ramenait sur son front en pattes de lapin. « Eh bien, pensa Mitia, cela est nécessaire. » Le second