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conduisant dans un cabinet particulier. Buvons une bouteille. Sais-tu, mon ami, que je n’ai jamais aimé le désordre ?

— Et qui l’aime, alors ? A-t-on jamais vu ! Jeter trois douzaines de bouteilles de Champagne aux moujiks !

— Je parle d’un autre désordre. Mais… tout est fini. Ne nous chagrinons plus, il se fait tard… Au diable ! Toute ma vie n’a été que désordre, mais je vais y mettre bon ordre. Je fais des calembours, tu vois ?

— Tu délires, tu ne fais pas de calembours, tu extravagues !

Gloire au Très-Haut dans le monde !
Gloire au Très-Haut en moi !

— Ce vers a crié dans mon cœur, un jour. Ce n’est pas un vers, c’est une larme… Ce n’est pas en tirant la barbe du capitaine que j’ai trouvé cela.

— Pourquoi parles-tu du capitaine ?

— Pourquoi je parle du capitaine ? Tout finit, tout s’égalise : on tire un trait et l’on fait le total.

— Tes pistolets sont toujours devant mes yeux.

— Sottises ! Bois et laisse là tes sottes imaginations. J’aime trop la vie ! C’en est même dégoûtant. N’importe, je suis content de moi. Sans doute je souffre d’avoir l’âme si basse, et pourtant je suis content de moi. Je bénis Dieu et son œuvre, mais… il faut faire disparaître un insecte puant, un certain insecte qui gâte la vie des autres. Buvons à la vie, frère ! Qu’y a-t-il de plus précieux que la vie ? Rire, boire ! Buvons donc à la vie ! Buvons aussi à une royale beauté, oh ! royale entre toutes !

— Soit ! buvons à la vie et à ta reine !