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sincérité. Or, de sa conduite ici même et de l’expertise médicale, il résulte que l’accusé a toute sa raison. Ce n’est donc pas en présence d’un criminel ordinaire que nous sommes. Je dirais presque que nous ne sommes pas en présence d’un criminel. L’infraction est constante, mais les sentiments que nous sommes accoutumés à constater dans l’esprit des criminels, le mépris des juges, la révolte contre les lois, le désir de donner le change à l’instruction, ce sont ces sentiments de criminalité dont nous constatons l’absence chez Alexey Fédorovitch. Il n’est point de mon rôle de demander que les yeux de la justice se ferment ; mais pourtant, je ne puis m’empêcher de vous inviter, messieurs, à la bienveillance ; il semble même que je doive le faire, puisque l’accusé demeure devant nous sans défense, car j’ai su qu’il a refusé l’aide d’un des plus célèbres maîtres du barreau russe. Il ne veut point que des artifices d’éloquence puissent vous aveugler. À coup sûr, vous trouveriez injuste, messieurs, que ces artifices dont il refuse de se couvrir, nous les employions contre lui. »

Le procureur s’assit, son discours fut salué par une triple salve d’applaudissements que le président ne put réprimer. On s’attendait qu’Alioscha, à la question ordinaire : « Accusé, qu’avez-vous à dire pour votre défense ? » répondrait par ce doux hochement de tête qui lui était habituel. Mais, à la surprise générale, il se leva.

Il se fit un silence absolu. La jeunesse de l’accusé, sa beauté, son attitude à la fois modeste et fière, tout lui conciliait l’affection et l’admiration générales. Et en son