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Au bout d’une heure, Alioscha congédia ses visiteurs, car le moment de sa comparution devant le tribunal approchait. Il y avait peu de témoins à entendre, le fait était évident, palpable ; ce fut plutôt par un sentiment de pitié que par scrupule de conscience que les juges prolongèrent durant trois jours les débats.

Ce procès fut tout différent de celui de Mitia. Alioscha était adoré autant que Dmitri détesté. Tous souhaitaient, demandaient son acquittement. Le réquisitoire du procureur se ressentit de ces dispositions à la bienveillance. Lui-même insista sur la grande jeunesse de l’accusé, sur les sentiments de mysticisme qui avaient pu l’amener à violer les lois civiles pour mieux servir, peut-être, quelque supérieure loi morale que lui seul connaissait. Après avoir toutefois requis l’application des lois pénales, le procureur conclut ainsi :

« C’est un Karamazov encore. Messieurs, qui comparaît devant vous. Il n’échappe point à la violence héréditaire ; mais remarquez-le, cette violence est une force dirigée vers le bien. Elle peut avoir toute la vertu de cette foi qui transporte les montagnes.

« Alexey Fédorovitch a agi, je n’en doute pas, dans un but noble, d’après une conviction profonde, et, de son acte, il n’entend point éviter la responsabilité. Il ressort de la déposition de Guerassim Mikhaïlovitch qu’au moment où Dmitri Fédorovitch s’est évadé, rien absolument n’empêchait son frère de le suivre. Si ce n’est donc par folie, ce ne peut être que par sentiment de justice, par honnêteté, que l’accusé est resté là pour répondre à ses juges, — vous avez vu vous-mêmes avec quel respect, avec quelle