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ma vie, j’ai rencontré chez certains hommes cette expression : elle présageait le crime, et le présage, hélas ! s’est vérifié. Le crime était en Mitia. Ta figure fraternelle a beaucoup adouci son cœur. Mais il souffrira, et ce sont en lui les grandes souffrances de l’avenir que j’ai saluées. D’ailleurs ne t’enorgueillis pas, tout vient de Dieu et c’est lui qui t’a donné la force d’apaisement qui est en toi. Agis ! agis ! Aime pratiquement tes semblables, toute la gloire et tout le mérite de l’homme sont dans la pratique de la charité. Tu agis aujourd’hui pour la première fois. Étends désormais le champ de ton action. Tu te dévoues aujourd’hui à ton frère : dévoue-toi demain à ta famille, et ensuite à ta patrie et enfin à l’humanité. Alors, tu comprendras que le seul réel paradis, c’est la vie. Ô enfants, vous êtes dès aujourd’hui en paradis, mais vous ne voulez pas le comprendre, parce que vous n’aimez pas, et par là même vous êtes en enfer, car l’enfer n’est pas autre chose que la souffrance de ceux qui ne peuvent pas aimer. Si les hommes voulaient comprendre cette vérité, aussitôt la terre ne serait qu’un paradis, et c’est la mission des moines de faire comprendre au monde cette grande vérité. Ils sont, par leur institution même, plus rapprochés que quiconque du peuple, — du peuple russe, qui porte en germe le salut de la Russie et de l’humanité : car souviens-toi que plus l’homme russe est de condition humble, plus il y a de vérité en lui, parce qu’il est lui-même plus près de la nature, de l’humble et simple nature. Regarde le cheval, ce grand animal, et le bœuf, ce robuste travailleur qui te nourrit : vois ces visages songeurs ! quelle soumission, quelle exquise timidité ! quel dévouement pour celui