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IV

Il courut à la prison.

Le départ des prisonniers y mettait tout en mouvement.

Outre Mitia, on emmenait en Sibérie deux criminels condamnés comme lui à vingt ans de travaux forcés. Alioscha obtint sans peine l’autorisation de revoir une fois encore son frère. Grouschegnka était auprès de lui.

— Salut ! cria Mitia, aussitôt qu’il le vit ; salut, mon petit frère Alioschegnka, homme de Dieu !

Il était extrêmement exalté. Une joie, étrange à cette heure, allumait son visage. Il prit AUoscha dans ses bras et l’étreignit convulsivement.

— Et je m’en vais, reprit-il, Alioschegnka ! Sais-tu ? Je crois que maintenant je supporterai tout sans peine, oui, même là-bas, même en Sibérie… D’ailleurs, ajouta-t-il après avoir regardé Grouschegnka, je m’évaderai, si on le veut.

Il prononça ces derniers mots : si on le veut, avec un accent qui fit tressaillir Alioscha. Il y avait, dans cet abandon aux volontés des autres sur lui-même, quelque chose de l’indifférence d’un mourant. Il semblait détaché de la vie, la considérer d’un regard étranger.

— Voilà ce qu’il trouve à me dire, s’écria Grouschegnka avec emportement. Depuis que je suis là, il me répète qu’il s’évadera si on le veut ! Pour lui, ça lui est égal ! C’est terrible, Alexey Fédorovith : certainement, il n’aime plus personne.