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— Ivan a une forte constitution. Moi aussi, je crois à sa guérison, dit Alioscha d’un air inquiet.

— Oui, il guérira, mais je te dis qu’elle a la conviction qu’il mourra. Elle doit beaucoup souffrir…

Un silence.

— Alioscha, j’aime beaucoup Grouscha, dit tout à coup Mitia d’une voie entrecoupée de sanglots.

— On ne la laissera pas t’accompagner là-bas, s’empressa de répondre Alioscha.

— C’est ce que je voulais dire… et puis… Si l’on me bat en route ou là-bas, je ne le supporterai pas : je tuerai et l’on me fusillera. Vingt ans ! On me tutoie déjà ici, oui, les garçons me disent tu. Toute cette nuit j’ai réfléchi : eh bien ! non, je ne suis pas en état de supporter… Je n’ai pas la force… Moi qui voulais chanter des hymnes ! Je ne puis pas même tolérer le tutoiement des garçons d’hôpital ! Pour Grouscha, pourtant, je supporterais tout, tout, sauf le knout… Mais on ne la laissera pas m’accompagner là-bas.

Alioscha sourit doucement.

— Écoute, frère, une fois pour toutes, voici mon opinion là-dessus, et tu sais que je ne mens pas. Tu n’es pas en état de porter cette croix, tu n’es pas prêt, et tu ne l’as pas méritée. Si tu avais tué ton père, je regretterais que tu voulusses te soustraire à l’expiation, mais tu es innocent et ta condamnation est injuste. Puisque tu voulais te régénérer par la souffrance, garde toujours présent à ta pensée cet idéal de la régénération, cela suffira. Le fait de te dérober à cet horrible avenir t’imposera seulement l’obligation de te soumettre plus strictement que personne à la