Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’eau. Il jeta un regard vague sur Alioscha ; il y avait aussi de l’appréhension dans ce regard.

En général, depuis sa condamnation, il était devenu très-absorbé. Il restait toute une demi-heure sans parler, semblant réfléchir sur quelque pénible sujet, et oubliait ceux qui l’entouraient. S’il sortait de sa rêverie, c’était pour dire toute autre chose que ce qu’il voulait dire. Il avait parfois pour son frère de singuliers regards de pitié et se sentait évidemment moins à l’aise avec lui qu’avec Grouschegnka. Non qu’à celle-ci même il parlât beaucoup, mais dès qu’elle entrait il souriait, son visage se rassérénait.

Alioscha s’assit en silence auprès de Dmitri. Dmitri l’attendait avec impatience, pourtant il n’osait pas l’interroger. Il estimait impossible que Katia consentît à venir, mais il songeait que, si elle ne venait pas, la vie serait désormais intolérable pour lui. Alioscha devinait ce sentiment.

— Et ce Trifon Borissitch ? dit soucieusement Mitia. On dit qu’il a démoli toute son auberge. Il lève les feuilles des parquets, il a jeté à bas toute sa « galderie[1] ». Il est toujours à la recherche du trésor, des quinze cents roubles que le procureur prétend que j’ai cachés dans cette auberge. Il s’est mis à cette belle besogne à peine rentré chez lui. C’est bien fait ! le scélérat ! C’est le garçon d’ici qui m’a raconté tout cela.

— Écoute, dit Alioscha, elle viendra, mais je ne sais quand ; aujourd’hui, demain, je ne sais. Mais elle viendra, c’est sûr.

  1. Pour galerie ; comme des gens du peuple diraient, pour corridor, collidor.