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chegnka elle-même lui avait raconté tout son passé, et il connaissait la lettre qu’elle avait reçue, un mois auparavant. Comment avait-il pu oublier cette affaire ? Cette question se dressait devant lui comme un monstre qu’il considérait avec effroi. Tout à coup, doucement et timidement, comme un enfant, il se mit à parler à Fénia. Elle regardait avec méfiance ses mains ensanglantées, mais elle répondit à toutes ses questions, lui raconta tout ce qui s’était passé dans la journée, la visite de Rakitine et d’Alioscha, et comment Grouschegnka leur avait crié par la fenêtre de rappeler à Mitia qu’elle l’avait aimé toute une heure. Mitia sourit et rougit. Fénia, complètement rassurée, s’enhardit à lui dire :

— Vos mains sont ensanglantées, Dmitri Fédorovitch.

— Oui, dit Mitia en regardant distraitement ses mains.

Mais il oublia aussitôt la question de Fénia et se leva d’un air soucieux. Puis, regardant de nouveau ses mains :

— C’est du sang, Fénia, dit-il en l’examinant d’un air étrange, c’est du sang humain, et Dieu ! pourquoi a-t-il été versé ? Mais... Fénia, c’est cette barrière, et il considérait la jeune fille comme s’il lui proposait une énigme, cette haute barrière, qu’on croirait infranchissable, au premier regard, mais... demain au point du jour, quand le soleil se lèvera... Mitegnka franchira une barrière plus haute encore... Tu ne comprends pas, Fénia, de quelle barrière je parle ? Ça ne fait rien, n’importe, demain tu sauras et comprendras tout... Et maintenant, adieu. Je ne veux rien empêcher, je m’en irai, je saurai m’en aller... Vis, ma joie !... Tu m’as aimé une petite heure ! Toi aussi,