Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Katlierina Ivanovna. Mais sa mission n’en devenait que plus difficile. Pourtant il ramena de nouveau la conversation sur Mitia.

— Ne craignez pas pour lui, reprit Katia. Ses hésitations ne sont que momentanées, je le connais trop. Soyez sûr qu’il finira par consentir à fuir, surtout si ce n’est pas immédiat, si on lui laisse le temps de se décider. Ivan Fédorovitch sera guéri vers ce temps-là et conduira lui-même l’affaire, de sorte que je n’aurai pas à m’en mêler. D’ailleurs Dmitri peut-il refuser ? Peut-il abandonner cette créature ? Car on ne les laisserait pas ensemble au bagne. C’est vous surtout qu’il craint, c’est votre blâme « au point de vue moral ». Il faut avoir la générosité de lui permettre de s’évader, puisque votre sanction est si nécessaire, ajouta-t-elle avec ironie.

Elle se tut un instant, sourit et continua.

— Il parle d’hymnes à chanter, de croix à porter, d’un certain devoir ; je m’en souviens, Ivan Fédorovitch m’a répété tout cela… Si vous saviez en quels termes ! si vous saviez combien il aimait ce malheureux au moment où il m’en parlait, — et combien peut-être il le haïssait en même temps ! Et moi je l’écoutais parler, je le regardais pleurer et je souriais. Ô créature ! créature abominable que je suis ! C’est moi qui l’ai rendu fou ! Mais l’autre, le condamné, est-il capable de souffrir ! Lui, souffrir ? Jamais ! Des êtres comme lui sont à l’abri des souffrances morales…

Une sorte de haine, de dégoût, vibrait dans sa voix. « Et pourtant c’est elle qui l’a dénoncé ! Eh bien, peut-être ne le hait-elle que par conscience de sa culpabilité envers lui », pensa Alioscha.