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ser les pieds je lui fis une nouvelle scène. Oh ! je suis très-malheureuse ! Quel terrible caractère ! Vous verrez, il sera obligé de m’abandonner pour une autre qui lui fera une vie plus facile… comme Dmitri, mais alors… Alors je me tuerai. Au moment où vous êtes arrivé, ce soir-là, et où j’ai ordonné à Ivan de revenir, quand vous êtes entré tous deux, ses regards dédaigneux me jetèrent dans une telle colère que je m’écriai tout à coup — vous vous en souvenez ? — que c’était lui, lui seul qui m’avait dit que Dmitri était l’assassin. Je le calomniais, car jamais il ne m’a dit une telle chose, et c’est moi seule qui accusais Dmitri. C’est toujours ma violence qui fait tout le mal ! Car je suis encore la seule cause de cette maudite scène devant le tribunal ; il voulait me prouver qu’il avait l’âme noble, que je pouvais aimer son frère, qu’il ne le perdrait pas par vengeance, par jalousie… et c’est pourquoi il a dit devant le tribunal ce que vous savez !… C’est moi qui ai fait tout le mal !…

Jamais encore Katia n’avait fait de tels aveux à Alioscha. Il comprit qu’elle était dans cette intolérable situation où le cœur le plus orgueilleux succombe sous le poids de ses maux, et il connaissait aux souffrances de la jeune fille une autre cause encore, bien qu’elle la cachât depuis la condamnation de Mitia : elle souffrait à la pensée de sa trahison devant le tribunal, et il pressentait que la conscience droite qui dirigeait cette âme violente lui prescrivait d’avouer aussi cette autre cause de ses souffrances et de l’avouer précisément devant lui, le frère de la victime : — terrible aveu qui n’irait pas sans larmes, sans crise peut-être. Il redoutait cet instant et voulait l’épargner