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l’affirme ! Il a fait un geste d’indignation et de dégoût, rien de plus. Peut-être, s’il n’avait pas eu ce fatal pilon dans les mains, il aurait pu frapper son père, mais il ne l’aurait pas tué ! Pourtant, un tel assassinat n’eût pas été un parricide. On ne pourrait le considérer comme tel que par préjugé. Supposons même qu’il ait été commis : voulez-vous punir l’accusé terriblement ? Écrasez-le de votre pitié ! Vous verrez alors, vous entendrez son âme tressaillir ! Oh ! vous pouvez m’en croire, il y a de la noblesse, messieurs, dans cette âme sauvage. Votre sentence l’humiliera, il maudira son action, son âme en sera élargie, il adorera la miséricorde divine, il vénérera la justice humaine. Le repentir l’accablera, il comprendra l’immense devoir que sa vie passée impose à son avenir. Il ne dira pas, comme il pourrait faire si vous le condamniez : « Je suis quitte ! » Il dira au contraire : « Je suis coupable devant les hommes ! » Oh ! cet acte de pitié vous sera si facile, dans cette absence de preuves irréfutables ! Et en eussiez-vous, de ces preuves qui font l’évidence, il vous serait pénible encore de répondre à la redoutable question qui va vous être faite : « Oui, coupable. » Mieux vaut acquitter dix coupables que punir un seul innocent. Entendez-vous la grande voix du siècle passé de notre histoire nationale ? Est-ce à moi, humble devant vous, de vous rappeler que la justice russe n’a pas pour unique rôle de châtier ? Elle sait aussi relever et sauver un homme perdu. Que chez les autres peuples la lettre de la loi règne ! Mais nous, servons l’essence, l’esprit de la loi, régénérons les déchus et vive la Russie, alors !

« Ne nous effrayez pas, vous autres, ne nous effrayez pas