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comme on s’imagine volontiers n’avoir pas dormi de toute la nuit quand on s’est éveillé plusieurs fois.

« Pourquoi, s’écrie le procureur, Smerdiakov n’avoue-t-il pas son crime dans le billet qu’il a écrit avant son suicide ? Lui qui se faisait scrupule de laisser accuser de sa mort un innocent, comment, s’il avait été coupable, aurait-il laissé accuser un autre innocent de la mort de Fédor Pavlovitch ? » Mais permettez. Le scrupule, c’est déjà du repentir. Or, le suicidé a pu agir par désespoir et non par repentir. Le désespoir est souvent méchant. Le suicidé, au moment même où il se faisait justice et surtout à ce moment, pouvait haïr plus que jamais ceux dont il avait été jaloux durant toute sa vie. Prenez-y garde, messieurs les jurés, vous êtes au moment de commettre une erreur judiciaire. Oui, cet ensemble de circonstances est écrasant : ces taches de sang sur les mains de l’accusé, cette nuit obscure où retentit le cri de « Parricide ! » ce domestique qui tombe assommé lui-même en jetant ce cri, et toutes ces dépositions, oh ! tout cela peut égarer une conviction, mais non pas la vôtre, messieurs les jurés ! Rappelez-vous que vous êtes dépositaires d’un pouvoir illimité : plus grand est ce pouvoir, plus dangereux en est l’exercice. À vrai dire, le plus désastreux pour nous, c’est ce fait qu’on a trouvé le cadavre d’un père assassiné. Vous hésiteriez, sur des dépositions, en somme, peu concluantes, à condamner un homme : mais le parricide vous en impose, vous craignez de laisser un tel crime impuni et, malgré votre sincérité, vous vous exagérez l’importance des faits. »

Le défenseur fit alors le portrait de Fédor Pavlovitch.