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voir comme la thèse de M. le procureur est invraisemblable. Selon lui. Karamazov ne serait descendu dans le jardin que pour s’assurer que son unique témoin est bien réellement mort. Mais comment un homme si avisé, si calme en un tel moment, serait-il le même qui a eu l’imprudence de laisser dans la chambre de son père l’enveloppe déchirée des trois mille roubles, une si importante pièce à conviction ! Ou il calcule tout, ou il ne calcule rien. S’il était si cruel, d’ailleurs, n’aurait-il pas du achever sa victime au lieu de la laisser vivante, et même, au hasard, lui donner plusieurs coups ! Loin de là, il s’agenouille auprès du vieux domestique, étanche avec son mouchoir le sang qui lui inonde la tête et rejette le pilon avec lequel il vient de frapper. Évidemment, il était désespéré de l’action qu’il avait commise, et c’est certes avec une malédiction qu’il a jeté loin de lui l’instrument fatal ! Or, quand on a déjà tué son père, on ne doit être guère accessible à la compassion pour un vieux domestique indifférent ! Il n’y avait de place dans ce cœur pour la pitié et pour les bons sentiments, que parce qu’il était pur. Voilà toute une autre psychologie, messieurs. Vous voyez qu’on peut, par ce moyen, atteindre où l’on veut : tout dépend du point de vue. »

Le défenseur discuta les faits. Il nia l’existence des trois mille roubles, laquelle ne résultait avec certitude d’aucune des dépositions : par conséquent le vol était imaginaire. Seul, Smerdiakov avait vu ces trois mille roubles, mais, à supposer qu’il n’ait pas menti, on ne savait à quelle époque il les avait vus. Smerdiakov affirmait que l’argent se trouvait sous le matelas ; or le lit était intact, comme l’avait