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homme nouveau. Je ne pouvais avoir sur cette affaire une opinion préconçue avant mon arrivée. Le caractère violent de l’accusé n’avait pu me blesser auparavant, comme il est arrivé déjà pour beaucoup de personnes, dans cette ville. Certes, j’avoue que la révolte de la morale publique semble, en l’espèce, justement provoquée. Cependant, mon client était reçu partout, et même dans la famille de mon honorable contradicteur, avant les récents événements. Néanmoins, M. le procureur pouvait avoir sur Dmitri Fédorovitch une opinion qui l’a rendu sévère à son endroit. D’ailleurs le malheureux a bien mérité cette sévérité. Mon contradicteur, dans son admirable discours, a scrupuleusement analysé le caractère et l’action de l’accusé ; il nous a expliqué l’essence de l’affaire avec une psychologie si profonde qu’on ne peut, pourtant, prétendre qu’il soit de parti pris contre mon client. Mais il y a pis qu’un parti pris : il y a l’enthousiasme artistique des romans qu’on peut inventer quand on a de si riches dons « d’imagination psychologique ». La psychologie est en elle-même une science merveilleuse ; mais c’est, pour ainsi dire, une arme à deux tranchants. Par exemple, et je choisis au hasard ce trait dans le réquisitoire, — l’accusé, la nuit, dans le jardin, en se sauvant, escalade un mur, terrasse le domestique Grigori ; aussitôt après il saute par terre, dans le jardin et, pendant cinq longues minutes, il se débat autour de sa victime pour se rendre compte de son état : l’accusateur ne voudra pour rien au monde croire à la sincérité de l’accusé qui affirme avoir été mû, en cet instant, par un sentiment de pitié. Servons-nous donc à notre tour de cette psychologie, mais par l’autre tranchant, et vous allez