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crie dans l’âme, qui frappe l’esprit sans cesse et empoisonne le cœur jusqu’à la mort : ce quelque chose, c’est la conscience, messieurs les jurés, c’est son verdict, c’est le remords ! Les pistolets le feront taire ! c’est l’unique issue. Quant à là-bas, je ne sais si Karamazov peut penser comme Hamlet aux choses de là-bas. Non, messieurs les jurés ; l’Occident possède Hamlet, nous n’avons encore que des Karamazov !…

« C’est dans ces dispositions qu’il arrive à Mokroïe. Mais il s’aperçoit que Grouschegnka l’aime : alors commence pour lui une crise terrible, la plus terrible, messieurs, de toutes celles qu’il a traversées. Ah ! la nature outragée et le cœur criminel ont des peines plus redoutables que celles de la justice humaine. On peut même dire que la justice humaine apporte un allégement aux expiations de la nature : la justice humaine est nécessaire au coupable, car elle seule peut le sauver du désespoir. Oh ! pouvez-vous vous imaginer ce que dut souffrir Karamazov en apprenant qu’il était aimé, qu’on écartait pour lui l’ancien amant, qu’on l’appelait, lui, lui, Mitia !… Une vie nouvelle, le bonheur, et cela quand ? Quand tout est fini pour lui, quand plus rien n’est possible ! Il se rattache à la vie : vous savez qu’il a le don de voir à la fois deux abîmes ! Il songea tromper la justice, il cache quelque part la moitié de son argent, il le cache bien, car nous ne l’avons pu retrouver. Il est arrêté devant sa maîtresse, auprès d’elle, d’elle couchée sur un lit. Il est pris au dépourvu. Le voici devant ses juges, devant ceux qui doivent disposer de son sort. Messieurs les jurés, il y a, dans l’exercice de nos fonctions, des moments où nous avons,