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la réponse de Grouschegnka. Mitia restait immobile. La lampe allumée dans la chambre dessinait nettement le profil détesté du vieillard, son double menton, son nez en bec d’aigle. Une colère irrésistible envahit le cœur de Mitia. « Le voilà donc, mon rival, le bourreau de ma vie ! » C’était cette violence, cet emportement invincible dont il avait parlé à Alioscha, lors de leur conversation dans le kiosque, en répondant à cette question d’Alioscha :

— Comment peux-tu dire que tu tueras ton père ?

— Je ne sais pas, avait dit Mitia. Peut-être tuerai-je, peut-être ne tuerai-je pas. Je crains de ne pouvoir supporter son visage à ce moment-là. Je hais son double menton, son nez, ses yeux, son sourire effronté ! Il me dégoûte. Voilà ce que je crains : peut-être ne pourrai-je me retenir…

Ce dégoût augmentait. Mitia, déjà hors de lui, sortit le pilon de sa poche......................... ......................... .........................

« Dieu m’a vu, à ce moment », disait plus tard Mitia.

En effet, c’est alors que Grigori s’éveilla dans son lit de malade. Il avait avalé dans la soirée le remède dont Smerdiakov parlait à Ivan Fédorovitch, et s’était endormi avec sa femme, qui avait aussi suivi le traitement, d’un sommeil de mort. Tout à coup, il s’éveilla, réfléchit un instant et, quoiqu’il ressentît une douleur aiguë dans les reins, il se leva et s’habilla à la hâte. Peut-être était-il aiguillonné par quelque remords de conscience à la pensée qu’il avait dormi en laissant la maison sans gardien « en un temps si dangereux ». Fatigué par sa crise, Smerdiakov demeurait étendu sur son lit, sans mouvement, dans un cabinet voi-