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— Et le cataclysme géologique, te le rappelles-tu ? Voilà un poëme !

— Tais-toi, ou je te tue !

— Moi ! me tuer ? Attends, il faut que je te dise tout ce que je pense. Je ne suis venu que pour me procurer ce plaisir. Oh ! que j’aime les rêves de mes jeunes amis, fougueux, âpres à la vie ! « Là, disais-tu l’an dernier quand tu te disposais à venir ici, vivent des gens nouveaux. Ils veulent tout détruire et en revenir à l’anthropophagie. Les sots ! Ils ne sont pas venus me demander conseil ! À mon avis, il ne faut rien détruire, excepté l’idée de Dieu, dans l’esprit de l’homme : c’est par là qu’il faut commencer. Ô les aveugles ! ils ne comprennent rien ! Une fois que toute l’humanité en sera venue à nier Dieu (et je crois que l’époque de l’athéisme universel arrivera, comme telle époque géologique, à son rang), alors, d’eux-mêmes, sans anthropophagie, disparaîtront les anciens systèmes et surtout l’ancienne morale. Les hommes se réuniront pour demander à la vie tout ce qu’elle peut donner, mais seulement et absolument à cette vie présente et terrestre. L’esprit humain grandira, s’élèvera jusqu’à un orgueil satanique, et ce seront les temps du dieu-humanité. Sans cesse triomphant de la nature par la science et par la volonté, et sans limites, cette fois, l’homme, par cela même, éprouvera une joie si intense qu’elle remplacera en lui les espérances des joies célestes. Chacun saura qu’il est mortel, qu’il n’a à compter sur aucune résurrection, et acceptera la mort avec orgueil, tranquillement, comme un dieu. Son orgueil même empêchera l’homme de se révolter contre la dure loi qui limite si vite la durée de sa vie, et