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ne hurle : Hosanna ! et qu’alors disparaisse de l’univers la négation nécessaire, et que ce soit le règne de la sagesse, c’est-à-dire que tout disparaisse, même les journaux et les revues : car qui s’abonnerait alors ? Je sais bien qu’à la fin de tout je finirai par deviner cette énigme : je ferai mon quatrillion et je me réconcilierai avec Dieu. Mais d’ici là je boude, et, le cœur serré, j’accomplis ma destinée : perdre des milliers, pour en sauver un ! Combien, par exemple, a-t-il fallu perdre d’âmes et souiller de réputations pour obtenir un juste, un Job, au nom de qui l’on s’est si méchamment joué de moi, jadis ! Non, tant que l’énigme ne me sera pas expliquée, il y a pour moi deux vérités : l’une, — la leur, — que j’ignore ; l’autre, la mienne. Reste à savoir quelle est la meilleure… Tu dors ?

— Je crois bien, gémit rageusement Ivan. Tout ce qu’il y a de plus bête en moi, tout ce que j’ai moulu depuis longtemps et rejeté de mon esprit, tu me l’apportes comme une nouveauté !

— Allons ! je n’ai pas encore réussi. Moi qui pensais te séduire en faisant un morceau de littérature ! Cet Hosanna des anges, vraiment, ce n’était pas mal. Pourquoi ce ton sarcastique à la Heine ? Hé ?

— Non ! jamais je n’ai eu ces idées de laquais ! Comment mon âme a-t-elle pu produire l’image de laquais que tu es ?

— Mon ami, je connais un charmant petit barine, tout jeune, un penseur, un amateur de littérature et d’art. Il est l’auteur d’un poëme non sans mérite intitulé : le Grand Inquisiteur ! … C’est lui que j’avais en vue tout à l’heure.

— Je te défends de parler du Grand Inquisiteur ! s’écria Ivan tout rouge de honte.