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pas du vôtre, n’a pas de croyants, sauf peut-être les grosses et grasses marchandes — les nôtres, non pas les vôtres. — (Car tout ce qui existe chez vous existe aussi chez nous, je te dévoile ce mystère par amitié, c’est pourtant défendu.) Cette légende parle donc du paradis. La voici. Vous avez eu un certain philosophe qui niait tout, les lois naturelles, la conscience, la foi, surtout la vie future : après sa mort, il croyait aller dans les ténèbres du néant, et voilà qu’il entre dans la vie future. Il se fâche, il s’étonne. « Cela, dit-il, est contre mes convictions ! » Et il fut condamné pour cela… Excuse-moi, je ne t’en raconte que ce qu’on m’en a dit à moi-même… Donc il fut condamné à faire dans les ténèbres, un voyage d’un quatrillion de kilomètres (car nous avons aussi les kilomètres maintenant), et quand il aura fait son quatrillion, les portes du paradis lui seront ouvertes et tout lui sera pardonné…

— Quelles sont les tortures de l’autre monde, outre les quatrillions ? demanda Ivan avec une étrange animation.

— Quelles tortures ? Ah ! ne m’en parle pas ! Auparavant, c’était encore supportable, mais aujourd’hui on a inauguré le système de la torture morale : « les remords de la conscience » et autres balivernes dans ce goût. C’est votre « adoucissement des mœurs » qui nous a valu cette mode ! Et au profit de qui ? au profit de ceux qui n’ont pas de conscience ! En revanche, les gens honnêtes souffrent davantage, les gens encore chargés d’honneur et de vertu. Voilà ce que c’est : on fait des réformes sur un terrain qui n’est pas encore préparé ! Et surtout emprunter des institutions à l’étranger, quelle folie ! Le feu