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— Alors tu ne crois plus en Dieu, toi-même ? fit Ivan avec un sourire fielleux.

— Comment donc ? Mais parles-tu sérieusement ?

— Dieu est-il, oui ou non ? cria Ivan avec un entêtement de fou.

— Ah ! c’est donc sérieux ? Eh bien, mon petit pigeon, je te jure par Dieu que je n’en sais rien. Voilà ce que je puis dire de plus sincère.

— Non, tu n’es pas ! Tu es moi-même et pas autre chose !

— Si tu veux, j’ai la même philosophie que toi : je pense, donc je suis, voilà ce dont je suis sûr. Quant au reste, quant à tout ce qui m’entoure, Dieu et Satan lui-même, tout cela ne m’est pas prouvé ! Si tout cela a une existence personnelle ou si ce n’est qu’une émanation de moi, un développement successif de mon moi qui existe temporellement et personnellement… Mais je m’arrête, car je vois que tu vas me battre.

— Si au moins tu me racontais une anecdote !

— Eh bien, en voici une précisément à propos du point qui nous occupe. Plutôt une légende qu’une anecdote. Tu me reproches mon scepticisme ! Mais il n’y a pas que moi de sceptique ! Nous sommes sens dessus dessous, chez nous, à cause de vos sciences. Tant qu’on n’a connu que les atomes, les cinq sens, les quatre éléments, cela allait encore. On parlait déjà d’atomes dans l’antiquité ! Mais vous avez découvert « la molécule chimique », le protoplasma et diable sait encore quoi ! Alors nous avons commencé à baisser la queue. Quel chaos ! Eh bien, cette légende de notre moyen âge — de notre moyen âge, non