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— Eh bien ! quelle idée ! Si elle est très-loin de la terre, je pense qu’elle s’amusera à tourner autour de votre planète en guise de satellite, sans savoir pourquoi. Les astronomes calculeront son lever et son coucher et on la mettra dans les almanachs, voilà tout.

— Tu es bête ! horriblement bête ! Fais-moi des mensonges plus spirituels, ou je ne t’écoute plus. Tu veux me convaincre de ta réalité par des procédés de réaliste ? Je ne te crois pas !

— Mais je ne mens pas : tout cela est vrai. Malheureusement, la vérité n’est jamais spirituelle ! Je crois que tu attends de moi quelque chose de grand, peut-être de beau. Tant pis ! je ne te donne que ce que je peux…

— Ne fais donc pas le philosophe, âne !

— Quelle philosophie ? J’ai tout le côté droit paralysé ! Je ne puis que geindre. J’ai consulté toute la Faculté. Oh ! ils sont très-forts pour diagnostiquer sur la maladie ; mais guérir ? Ils ont un très-joli système : ils envoient le malade chez un spécialiste : nous autres, nous diagnostiquons, lui, il nous guérira. L’ancien système, selon lequel chaque médecin traitait toutes les maladies, a complètement disparu : il n’y a plus que des spécialistes. As-tu mal au nez ? on t’enverra à Paris : il y a un fameux spécialiste européen pour les affections du nez. Tu vas donc à Paris. Le spécialiste examine ton nez : « Je ne puis, dit-il, guérir que votre narine droite, car je ne traite pas les narines gauches, ce n’est pas ma spécialité. Il faut aller à Vienne : il y a un spécialiste pour les narines gauches. » J’ai recouru aux remèdes des bonnes femmes, mais un médecin allemand m’a conseillé de prendre un bain après