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— Mais cela n’est pas de moi ! dit Ivan interloqué. Cela ne m’est jamais venu à l’esprit…

— C’est du nouveau, n’est-ce pas ? Pour une fois, je serai honnête et je t’expliquerai la chose. Écoute. Pendant les rêves, dans les cauchemars qui proviennent d’un trouble d’estomac ou de quelque autre cause physique, l’homme a parfois des visions si belles, des combinaisons d’apparences si réelles et si compliquées, il passe par tant d’événements, ou plutôt par tant d’intrigues si bien enchaînées, avec des détails si imprévus, depuis les phénomènes les plus importants jusqu’aux dernières bagatelles, que, je te le jure, Léon Tolstoï lui-même ne pourrait rien imaginer de tel, et ces rêves visitent des gens qui ne sont pas du tout des écrivains : des tchinovniks, par exemple, des feuilletonnistes et des popes… Un ministre m’a même avoué que ses meilleures idées lui venaient pendant le sommeil. C’est ce qui t’arrive : je te dis des choses qui ne te sont jamais venues à l’esprit, comme font les personnages de tes cauchemars. De cette sorte, je fais un peu plus que te parler ta pensée.

— Tu mens ! Ton but est de me faire croire que tu existes, et voilà que tu prétends être un cauchemar ! Tu mens !

— Mon ami, j’ai une méthode particulière que je t’expliquerai ensuite. Attends un peu… Où en étais-je ? Ah ! oui. J’ai donc pris ces douleurs non pas ici, mais là-bas…

— Où çà, là-bas ? Dis donc, vas-tu rester longtemps encore ? s’écria Ivan désespéré.

Il cessa de marcher, s’assit sur le divan et prit de nouveau sa tête entre ses mains. Il arracha avec dépit la serviette mouillée et la jeta.