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Mais je ne te crains pas, j’aurai le dessus, on ne me mènera pas à la maison des fous.

— C’est charmant ! un pique-assiette ! Et oui, c’est ma condition. Que suis-je en effet dans le monde, sinon un pique-assiette ? À propos : en t’écoutant, je m’étonne, par Dieu ! que tu commences à me traiter comme un être réel et non plus comme une fantaisie de ton imagination, ce que tu faisais encore la dernière fois.

— Non pas ! je ne t’ai jamais pris pour un être réel ! s’écria Ivan avec rage. Tu es un mensonge, un fantôme ! Tu es ma maladie ! Mais je ne sais comment me défaire de toi, et je pense qu’il faudra que je te tolère pendant quelque temps. Tu es mon hallucination. Tu es la corporisation des plus vils et des plus sots de mes sentiments et de mes pensées. En cela tu m’intéresserais, si j’avais du temps à perdre avec toi.

— Pardon ! pardon ! Mais tout à l’heure quand tu demandais à Alioscha s’il ne l’avait pas entendu, c’est de moi que tu parlais ! Tu as donc cru, au moins un instant, à ma réalité, dit le gentleman avec un doux sourire.

— C’était une faiblesse… Mais je ne t’ai jamais cru réel.

— Et pourquoi as-tu été si dur avec Alioscha ? Il est charmant. J’ai des reproches à me faire à son endroit à cause de son starets Zossima.

— Comment oses-tu parler d’Alioscha, âme de valet ? dit Ivan en riant.

— Tu m’injuries en riant ? Bon signe. En général, d’ailleurs, tu es plus aimable avec moi que la dernière fois. Je comprends pourquoi… cette noble résolution…

— Tais-toi, ne me parle pas de cela ! s’écria Ivan furieux.