Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laisser tomber l’enveloppe à terre sans se douter que ce serait une pièce à conviction contre lui. Dmitri Fédorovitch n’est pas un voleur ordinaire, c’est un noble. Il n’aurait pas précisément volé. Dans le cas actuel, il aurait repris ce qui lui était dû. C’est ce que j’ai laissé entendre au procureur, de telle manière qu’il a cru trouver lui-même cette idée : il en était très-satisfait…

— Tu as réfléchi à tout cela sur place et dans l’instant même ? s’écria Ivan Fédorovitch stupéfait, et regardant Smerdiakov avec terreur.

— Voyons ! dans une telle hâte peut-on faire tant de réflexions ? Tout cela était calculé d’avance.

— Eh bien… Eh bien, il faut que le diable lui-même… Tu n’es pas bête ; tu es même beaucoup plus intelligent que je ne pensais.

Il se leva et fit quelques pas. Mais comme la chambre était très-encombrée, il se rassit aussitôt. C’est peut-être ce qui l’exaspéra de nouveau, et il se remit à hurler.

— Écoute, misérable ! ignoble créature ! Tu ne comprends donc pas que si je ne t’ai pas tué encore, c’est que je te garde pour que tu répondes demain aux juges ? Dieu m’est témoin, dit-il en levant la main, que peut-être j’ai été en effet coupable, peut-être avais-je le secret désir que mon père mourût, mais je te jure que je n’étais pas aussi coupable que tu le penses ; peut-être ne t’ai-je pas poussé du tout, non, non !… N’importe, je déposerai contre moi-même demain, j’y suis résolu et je dirai tout, tout. Mais nous irons ensemble, et, quoi que tu puisses dire contre moi, cela m’est égal, je ne te crains pas, je confirmerai moi-même tout ce que tu diras. Mais toi aussi, il faudra que