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— Tu sais toi-même qui, dit doucement et d’un ton pénétrant Alioscha.

— Qui ? Ah ! oui ! Cette fable sur cet idiot épileptique, Smerdiakov ?

Alioscha tremblait.

— Tu sais toi-même qui.

— Mais qui donc ? qui ? s’écria Ivan avec rage.

Il ne se possédait plus.

— Je ne sais qu’une chose, dit à voix basse Alioscha : que ce n’est pas toi qui as tué le père.

— Pas moi ! Que veux-tu dire ?

— Ce n’est pas toi qui as tué, pas toi, répéta avec fermeté Alioscha.

Une demi-minute de silence.

— Mais je le sais bien que ce n’est pas moi ! As-tu le délire ?

Il regarda attentivement Alioscha. Ils étaient en ce moment dans la lumière d’un réverbère.

— Non, Ivan, tu sais bien que tu disais toi-même que c’est toi qui es l’assassin.

— Quand l’ai-je dit ?… J’étais à Moscou… Quand l’ai-je dit ?… répétait Ivan avec trouble.

— Tu l’as dit à toi-même, quand tu étais seul, pendant ces deux terribles mois, dit Alioscha doucement et comme s’il parlait malgré lui. Tu t’accusais, tu disais que l’assassin n’était autre que toi. Mais tu te trompes, ce n’est pas toi, m’entends-tu ? ce n’est pas toi ! Dieu m’envoie te le dire.

Ils se turent tous deux pendant une longue minute. Ils se regardaient en face, très-pâles. Tout à coup, Ivan tressaillit et saisit fortement Alioscha par l’épaule.