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de Dieu sur toi s’accomplira… Et je m’étonne qu’au lieu de parler de cela tu bavardes à propos de choses insignifiantes.

— Non, ne t’étonne pas ! Préfères-tu que nous parlions de l’assassin, de ce chien ignoble ? Nous n’en avons que trop parlé ! Qu’on me laisse tranquille ! Assez causé du fils de Smerdiachtchaïa ; Dieu fera justice, tu verras !…

Il s’approcha d’Afioscha et l’embrassa avec émotion.

— Rakitine ne comprendrait pas cela, mais tu comprendras tout, toi : c’est pour cela que j’étais si impatient de te voir. Il y a longtemps que j’aurais voulu te dire… bien des choses entre ces quatre horribles murs. J’ai attendu le dernier jour, il faut que je m’épanche en toi. Frère, depuis deux mois un homme nouveau est né dans mon âme. C’est-à-dire… il était déjà en moi : mais il a fallu un coup de foudre pour l’éveiller. Terrible !… Je taperai du marteau dans les carrières pendant vingt ans ! Et puis, qu’est-ce que ça me fait ? Je ne crains qu’une chose : c’est que l’homme nouveau qui vient de s’éveiller n’aille se rendormir… Là-bas aussi, dans les carrières, sous un habit de forçat et d’assassin, on peut trouver un cœur d’homme. Là-bas aussi on peut vivre, aimer et souffrir… On peut ranimer le cœur engourdi d’un forçat, le soigner, sauver dans ce repaire une grande âme purifiée par la conscience de la douleur, en faire un héros. Il y en a des centaines, vois-tu, qui souffrent pour nos fautes, car nous sommes coupables de leur crime. Pourquoi, en un tel moment, ai-je eu dans mon rêve la vision de ce petiot ? C’était une prophétie. C’est pour lui que je partirai, car nous sommes tous coupables pour tous les vivants ; tous