misérable probablement. Ils sont tous des misérables… Rakitine fera son chemin, il passerait par le trou d’une aiguille… C’est un Bernard ! Ohl ces Bernard ! y en a-t-il, de nos jours !
— Mais qu’as-tu donc ?
— Il veut écrire un article à propos de moi et commencer ainsi sa renommée. C’est dans ce but qu’il vient me voir… Un article à thèse : « Il ne pouvait pas ne pas tuer : c’est le milieu qui l’y poussait. » Et ainsi de suite. Il y aura une pointe de socialisme dans son affaire… Mais au diable ! Ça m’est égal. Il n’aime pas Ivan, il le hait : et toi non plus il ne t’aime guère. Moi, je le supporte, il a de l’esprit. Je lui disais tout à l’heure : « Les Karamazov ne sont pas des misérables, ce sont des philosophes et tous les vrais Russes sont des philosophes : et toi, tu es un savant, mais tu n’es pas un philosophe, tu es un smerde[1] ! » Il a ri, — méchamment, il est vrai. Et moi je lui ai dit : « De opinionibus non est disputandum. » Tu vois, je suis classique aussi, ajouta Mitia en éclatant de rire.
— Mais pourquoi es-tu perdu, comme tu disais tout à l’heure ?
— Pourquoi je suis perdu ? Hum !… En réalité… Si l’on prend l’ensemble, je plains Dieu, voilà pourquoi.
— Comment, tu plains Dieu ?
— Imagine-toi : tout cela est dans les nerfs, dans la tête, dans l’esprit… Il y a là des fibres… aussitôt qu’elles vibrent… c’est-à-dire, vois-tu, je regarde… pour ainsi dire, quelque chose : aussitôt les fibres vibrent, et, dès qu’elles
- ↑ Smerde, littéralement, puant. Même radical que celui du nom de Smerdiakov.