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maîtrise. Jamais de moi-même je n’aurais pu me corriger, me relever : la foudre a éclaté, j’accepte… J’accepte les tortures de l’accusation, la honte publique : je vais souffrir et me racheter par la souffrance. Croyez-vous que je parviendrai à me racheter, là ? Entendez-moi pourtant pour la dernière fois : je n’ai pas versé le sang de mon père. J’accepte le châtiment, non pas parce que j’ai tué, mais parce que j’ai voulu tuer, — et peut-être aurais-je tué… Je n’en suis pas moins résolu à lutter contre vous, je vous en avertis. Je lutterai jusqu’au bout, et ensuite à la grâce de Dieu ! Adieu, messieurs, ne m’en veuillez pas pour mes violences au cours de l’interrogatoire : je n’avais pas alors toute ma conscience… Dans un instant je serai un prisonnier : que pour la dernière fois Dmitri Karamazov, comme un homme libre, vous tende encore la main. En vous disant adieu je prends congé du monde entier.

Sa voix tremblait. Il tendit la main à Nicolay Parfenovitch qui, d’un geste convulsif, cacha la sienne. Mitia s’en aperçut et tressaillit. Il laissa retomber son bras.

— L’instruction n’est pas encore terminée, dit le juge un peu confus. Elle va se continuer à la ville. Je souhaite qu’elle tourne… à votre justification… En ce qui me concerne personnellement, Dmitri Fédorovitch, je vous ai toujours considéré comme plus malheureux que coupable. Tous ici, et j’espère n’être démenti par personne, nous sommes disposés à voir en vous un homme noble au fond, mais, hélas ! entraîné par ses passions à des actes excessifs…

Le petit juge prononça ces derniers mots d’un ton très-solennel.