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bien : ils peuvent, après une scène d’ailleurs excessivement tragique, pardonner une trahison presque évidente, presque immédiate ; ils pardonnent les baisers, les étreintes qu’ils ont vus eux-mêmes, en se disant pour se consoler que « c’est peut-être pour la dernière fois : le rival s’en ira pour toujours à l’autre bout du monde ; ou bien ils emmèneront la bien-aimée quelque part où elle ne sera plus exposée à rencontrer l’autre ». Il va sans dire que la réconciliation dure une heure, car, le rival disparut-il, le jaloux en inventerait un second. Or, que vaut donc cet amour qu’il faut épier, espionner ? Mais un vrai jaloux ne comprendra jamais cette question…

Chez Mitia, la jalousie disparaissait dès qu’il apercevait Grouschegnka ; il reprenait confiance, il méprisait ses soupçons. Cela prouvait seulement que son amour pour cette femme comportait beaucoup plus de noblesse qu’il ne le croyait lui-même, bien autre chose que de la sensualité.

La jalousie le reprit donc aussitôt qu’il eût quitté Grouschegnka.

Mais il n’avait pas de temps à perdre. Le plus pressé, c’était de trouver un peu d’argent. Il alla engager pour dix roubles ses pistolets chez le tchinovnik Perkhotine.

Il apprit chez Maria Kondratievna que Smerdiakov était malade. Cette nouvelle le jeta dans un grand trouble. On lui dit aussi qu’Ivan était parti le matin même pour Moscou. Comment faire ? qui espionnerait pour lui ? qui l’informerait ? Il se mit à réfléchir. Faut-il aller à la porte de Samsonnov ou rester ici ? Il faudrait être ici et là ! et en attendant… en attendant… il avait un projet à accomplir