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comme s’ils ne le comprenaient pas, comme s’ils en ignoraient le sens. Mitia remarqua ce détail.

Après avoir décrit la rage soudaine qui s’était élevée en lui au moment où, apercevant la figure de son père penchée hors de la fenêtre, il avait saisi le pilon, il s’arrêta inopinément, comme exprès. Il regardait la muraille, sentant très-bien, braqués sur lui, les regards perçants de ses juges.

— Eh bien ! dit Nikolay Parfenovitch, vous avez saisi votre arme et… et qu’avez-vous fait ?

— Et… et j’ai tué… J’ai asséné à mon père un coup de pilon et je lui ai fracassé le crâne… N’est-ce pas ? c’est ainsi, d’après vous ?

Ses yeux étincelaient. Toute sa colère, naguère apaisée, se réveillait en lui, se révoltait avec une violence irrésistible.

— D’après nous, approuva Nikolay Parfenovitch. Mais, d’après vous ?

Mitia baissa les yeux et resta assez longtemps sans parler.

— D’après moi, messieurs, d’après moi, voici comment la chose s’est passée, reprit-il doucement. Est-ce ma mère qui en ce moment priait Dieu pour moi ? Est-ce un bon esprit qui me baisa au front en passant ? Je ne sais, mais le diable a été vaincu. Je m’enfuis de la fenêtre et courus vers la barrière… C’est alors que mon père m’aperçut et, prenant peur, se retira vivement de la fenêtre, je l’ai vu au moment de m’enfuir… J’enjambais déjà la clôture quand Grigori me saisit…

Mitia leva enfin les yeux sur ses juges : ils l’écoutaient