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dération une telle déposition, faite dans la colère qu’excitent en vous nos questions, que vous considérez comme insignifiantes, quoiqu’elles soient très-graves.

— Mais, voyons, messieurs ! J’ai pris ce pilon, pourquoi ? Je ne le sais pas. J’ai pris et je me suis enfui, vous dis-je ! Voilà tout. Soyez donc raisonnables, messieurs, passons ! Autrement, je vous jure que je n’ajouterai pas un mot.

Il était au moment de déclarer que : « Eh bien ! il ne dirait plus rien, dût-on l’envoyer à l’échafaud ! » Mais il se maîtrisa et reprit :

— Voyez-vous, messieurs, en vous écoutant, il me semble faire un certain rêve qui m’est familier : je suis poursuivi par je ne sais qui, un inconnu dont j’ai grand’peur ; c’est la nuit, mon inconnu me cherche, je me cache derrière une porte, derrière une armoire, je suis lâche ; il sait très-bien où je me suis caché, mais il feint de l’ignorer, pour me torturer davantage, pour jouir de mon épouvante… C’est ce que vous faites maintenant, c’est tout à fait cela.

— Vous avez de tels rêves ? observa le procureur.

— Oui, j’ai de tels rêves. Voulez-vous le noter ?

— Non, mais ils sont curieux, vos rêves.

— Maintenant, ce n’est plus un rêve, c’est la réalité, messieurs, c’est le réalisme de la vie réelle. Je suis un loup, vous êtes des chasseurs.

— La comparaison est outrée, dit doucement le juge.

— Non pas, messieurs ! dit Mitia avec une colère soudaine. Vous pouvez refuser de croire à la franchise d’un accusé quelconque que vous torturez avec vos questions, non à celle d’un homme noble, messieurs, qui vous parle