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aujourd’hui tout ce que je n’ai pu vous dire l’autre jour, tout ce qui m’oppresse depuis si longtemps. Je souffre, pardonnez-moi, je souffre…

Elle joignit les mains avec exaltation.

— Mais de quoi particulièrement souffrez-vous ?

— Je souffre… du manque de foi.

— Du manque de foi en Dieu ?

— Oh ! non ! je n’ose même pas penser à un tel doute. Mais la vie future, c’est si problématique ! Personne ne peut rien dire de certain sur ce sujet. Écoutez, vous êtes le médecin des âmes… Cette pensée de la vie d’outre-tombe m’émeut jusqu’à la souffrance, jusqu’à la peur, jusqu’à la terreur. Et je ne sais à qui m’adresser, jamais je n’ai osé parler de cela. Mais avec vous, j’ose… Tout le monde croit à la vie future : mais d’où vient cette foi ? Les savants assurent que la foi est née de la peur que causaient aux premiers hommes les phénomènes terrifiants de la nature, que la foi n’a pas d’autre origine… Ô ciel ! J’aurai cru toute ma vie : je meurs, et il n’y a rien ! rien que l’ortie qui poussera sur ma tombe, comme a dit je ne sais plus quel poëte. Mais c’est affreux ! Comment croire, après cela ? Du reste, je n’ai jamais cru que dans mon enfance, machinalement, sans réfléchir. Et comment savoir la vérité ? Je regarde autour de moi, personne ne se soucie de ces choses, presque personne aujourd’hui. Mais moi, mon ignorance m’est insupportable ! C’est affreux, affreux !

— Certes, c’est affreux. Prouver est impossible, pourtant on peut se convaincre…

— Comment ?

— Par l’expérience d’un amour actif. Tâchez d’aimer